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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 12:48

(Ce texte est la seconde partie d'un texte plus long, si vous n'avez pas déjà lu le début, lisez l'intro ici, ou la première partie ici)

 

    ...Je me souviens que devant l’écurie, il y avait une grande pierre de meule avec une manivelle. Nous y jouions souvent, à aiguiser des bouts de bois. L’un de nous tournait la manivelle avec ses petites mains, l’autre tâchait de tenir son bâton contre la pierre… Elle était montée sur un bac de bois, destiné à contenir l’eau, d'où partaient quatre pied obliques, et servait à aiguiser les outils de coupe, serpes, faux, faucilles et autres croissants. Sûrement quelques couteaux. Mais, je me souviens aussi qu’une des pierres du cadre de la porte d’entrée servait étonnamment à cet usage : lorsque Simone avait à peler des carottes, ou trancher des légumes, elle allait à la porte et frottait son couteau contre cette pierre. Vers en haut. Puis vers en bas. Puis vers en haut… etc. 
Cette pierre avait du aiguiser des centaines de couteaux, des milliers de fois, car son arrête était toute en biseau, à force. Je me souviens qu’elle était très douce au toucher, laissait sur les doigts une fine poussière grise, et sentait le métal.

Je me souviens d’un gentil petit chien noir et feu qui s’appelait Dolly.

Je me souviens que nous jouions aux voitures et aux billes dans la rigole en demi-tonneau qui longeait la maison, et qu’il y avait un « pot » pour les billes déjà tout creusé en bas d’un des rosiers de la façade.

Je me souviens que nous avons appris à conduire sur le tracteur de Georges, et qu’une fois assez grand, pour atteindre la pédale d’embrayage, vers dix ou onze ans on a eu le droit de mener la remorque pendant les foins, ou le ramassage des pommes. C’était les moments forts de la vie à la ferme pour nous. Les foins annonçaient l’été et les grandes vacances. Cela durait plusieurs jours, entre la coupe, le séchage ou il fallait tourner le foin à la pirouette puis ensuite le dresser, la botteleuse, qui brossait le champ, avalait la longue chenille de foin ainsi formée, et recrachait des bottes plus ou moins tassées et rectangulaires.
Ensuite on passait dans le champ avec un plateau (sorte de remorque avec de grands espaliers inclinable à l’avant et à l’arrière). Deux à quatre personnes, avançant de part et d’autre, piquaient ces bottes avec des brocs, sorte de fourches à trois dents, et les posaient sur la remorque. Une ou deux autres personnes sur la remorque rangeait les bottes pour optimiser, équilibrer et sécuriser le chargement. Une autre personne, souvent nous, conduisait le tracteur, à vitesse minimale, entre les bottes de foin, en prenant soin de ne pas faire tomber les personnes embarquées, ou le chargement. Je me souviens que, plus grands, on a aussi aidé au chargement. Il fallait alors envoyer les bottes haut, ou loin lorsqu’on déchargeait les remorques dans les granges. Je me souviens des trajets en tracteur, dans les remorques, assis dans les pommes ou les foins.  Je me souviens qu'on passait beaucoup de temps à jouer avec les bottes de foin, à s'en faire des cabanes, des remparts, des voitures, des sculptures. Je me souviens que les journées étaient longues et épuisantes mais toujours joyeuses et festives.

Et qu’on pouvait boire du cidre…

Je me souviens que le cidre était fait à la ferme même. Que nous ramassions les pommes le mercredi ou le week-end. Je me souviens que l’herbe était souvent mouillée et froide à l’automne. Que  les feuilles avaient parfois commencé à tomber et cachaient les pommes. Je me souviens des grands paniers en grillage à poule. Et des concours que nous faisions. Le panier le plus vite rempli… Le plus grand nombre de panier versés au « beniau »… Je me rappelle des batailles de pommes. Je me souviens des genouillères artisanales taillées dans les pneus de 2cv, pour protéger les genoux de l’humidité, et de la boue. Je me souviens des longues gaules que Georges agitait pour faire tomber les dernières pommes. Du jus frais au sortir du pressoir. De l’odeur du mout fermenté dans les jours qui suivaient. Je me souviens du goût du cidre quand on faisait des crêpes l’hiver suivant…

Le goût du cidre « que même que c'est nous qu'on l'a fait !»...

 

Je me souviens qu’une dame qui s’appelait Léontine venait faire la lessive dans l’eau de la mare derrière l’étable. Elle était agenouillée dans une sorte de caisse en bois garnie de paille, frottait le linge avec un énorme pain de savon blanchâtre et une brosse, puis elle le frappait avec un battoir, sur une planche inclinée. L'eau savonneuse blanchissait alors la mare avec le lent mouvement pareil à celui des nuages qui courent dans un ciel pur. Il y avait près d’elle une grande lessiveuse noircie par le feu sur un foyer ou un trépied, toute fumante, et dans laquelle elle remuait des torchons ou des draps avec un bâton. Quand on a cherché des prénoms pour notre petite dernière, j'ai proposé  Léontine en repensant à elle...

Je me souviens qu’à cette mare on puisait de l’eau avant qu’il y ait l’eau courante à l’intérieur de la maison. On utilisait un drôle de seau en tôle galvanisée, fixé sur une perche. On écartait un peu les lentilles d’eau et on puisait en prenant soin de ne pas troubler l’eau avec la vase volatile du fond. Je me souviens qu’il y avait peu d’interdictions à la ferme, mais que s’approcher de la mare en l’absence d’un adulte nous exposait à une belle réprimande. Je me souviens que, longtemps, lorsque j’entendais la chanson ‘Le bouvier’ par « les ménestriers » j’imaginais la pauvre femme morte, au fond de l’eau de la mare, la tête sous la source…
Du coup, la mare, ce n’est pas un endroit où je trainais longtemps…

Qu’entre l’étable et la mare il y avait un appentis sous lequel on trouvait tout un tas de vieux machins… marmites, gamelles, manches, récipients de toutes sortes, ustensiles étranges, bidons, morceaux de tuyau.

Je me souviens du grand jardin potager, des récoltes de haricots verts posées en gros tas sur la table de la cuisine et qu’il fallait équeuter aux deux bouts avant de les enfermer dans des bocaux de verres. On les cuisait ensuite longtemps dans un grand stérilisateur, dans lequel plongeait un thermomètre géant par un trou du couvercle. Je me souviens de la première récolte de courgettes de Simone, et que ce légume n’était pas connu à l’époque dans la région. Je me souviens des patates, carottes, radis et fèves, des pois qu’il fallait étayer, des salades, navets, persil, ciboulette. Je me souviens d'avoir planté des graines. Je me souviens des allées bien dessinées, des petits sillons creusés à la binette, du désherbage, de l’épandage du fumier. Que tout ça avait du goût. Et que c’était bien bon.

Je me souviens que deux marques de bocaux se faisaient la guerre : les « le Parfait » et  les « le Super ».

 

( à suivre...)

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