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2 juillet 2007 1 02 /07 /juillet /2007 23:58
 Je rentre d'un barbecue chez un ami musicien... 

Assis en rond les pieds nus sur le rebord du brasero, un verre de bordeaux à la main, une côtelette dans l'assiette, on chante "Quand Margot dégrafait son corsa-agee..." pendant que ma femme allaite la petite... Au ciel quelques nuages se teintent de rose au coucher du soleil... Comment s'appellent ces nuages ? 
Les autres enfants jouent dans la cabane, au fond près des bambous. Une bûche ajoutée pour le plaisir libère un parfum de sève... Ca sent comme le goût des bonbons la Vosgienne. On sort une sale blague sur la pauvre fille des montagnes et son parfum de sève... 
On rit, on s'attendrit sur la petite qui s'étonne de notre éclat de voix. 

Ce soir je vole des minutes au temps qui s'arrête...
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28 juin 2007 4 28 /06 /juin /2007 12:00
Dimanche 28 Décembre 1975. Saint Innocent.
 
Au pied du sapin chargé de boules multicolores et brillantes, deux petits garçons jouent. L'aîné remonte à l'aide d'une petite clé à 4 pans un petit train à moteur. Près de lui, les petits rails de plastiques et de fer dessinent un cerle sur la moquette, que des petits ponts en cubes de bois peints enjambent... Le cadet, le nez collé à la fenêtre embuée, regarde l’adjudent qui, sortant de la 4L bleue qui vient de se garer devant la petite maison en préfabriqué, remet son képi.
_ Manman ! woilà les zordames ! dit il, de sa petite voix…
 
*
* *
 
C'est une chasse au lapin, comme souvent. On est partis en causant bas, avec Maurice, fouiller les garennes dans les taillis et les haies autour de la ferme de son père. En Décembre, les lapins de garennes sortent longtemps des terriers, pour brouter l'herbe et les pissenlits qui poussent dru aux alentours. Depuis peu, Maurice a un furet. Il l'a appelé Zorro, à cause des marques noires autour des yeux. Ca aide bien un furet. On le coule dans le terrier pour déloger les lapins... Faut juste penser à le nourrir avant, pour qu'ils fassent pas un festin au fond du terrier.
lapin.jpgAvec Maurice, ça fait longtemps qu'on se connaît. Depuis la maternelle. Longtemps qu'on chasse ensemble. Longtemps qu'on fait des tours pendables et que leur récit fait le tour des cafés du bourg, après les messes de mariage ou d'enterrement. Je l'ai pris comme témoin du mien, de mariage. Il m'a aidé à monter la petite maison en préfabriqué que j'ai achetée pour mettre la petite famille à l'abris.
Au cas ou la vieille bohémienne ait dit vrai...
 
C'était à la fête foraine de Domfront, y'a de ça six ou sept ans... Pour déconner avec les copains, on était allés voir la vieille bohémienne qui dit la bonne aventure. Quand ça a été mon tour, que je suis entré dans sa roulotte et que je lui ai glissé un billet de cinquante francs, elle m'a pris la main pour lire dans les lignes. J'entendais les autres chahuter dehors. Elle a regardé ma main un moment. Son air est devenu grave. Elle a dit en me regardant dans les yeux :
_ Tu veux vraiment savoir ?
bohemienne.PNGJe souriais en entendant les vannes des autres, mais elle avait l'air sérieux, alors j'ai dit :
_ Oui. Je veux tout savoir !... Avec mon air de fanfarron...
Elle a hésité un moment, comme pour chercher des mots, puis, serrant dans les siennes mes paumes ouvertes, je sentais ses pouces me caresser doucement...
_ Fils, si tu as des choses à faire pour ta famille, fais les vite. Epouse ta fiancée. Et quand tes deux garçons seront nés, mets les vite à l'abris. Tu auras peu de temps.
Elles ont le chic les bohémiennes pour te faire peur... Dehors, Béru gueule :
_ Eh Marcel ! D'mande lui si l'curé va s'venger pour c'que t'as fait à ses fraisiers !
Elle me regarde toujours droit dans les yeux... Je souris toujours, mais plus aussi franchement. Elle vient de lâcher le billet de cinquante dans ma paume.
_ Tu en auras plus besoin que moi... Rejoins tes amis. Et souviens toi de ce que j'ai dit, gadjo!
En sortant de la roulotte, sous les acclamations des copains, j'ai brandi le billet en criant :
_ Tournée générale !
On s'est pris une caisse de bières, et on est allés la boire sur les remparts, en bas du donjon. C'est là que, quand ce fut mon tour, je leur ai raconté ce que la vieille femme m'avait dit. On a trinqué à sa santé, et on est allé danser au bal sur la Place Clémenceau.
 
Marcel et Maurice. Chez Yéyette, au comptoir, ou chez le coiffeur d'en face, quand ces deux noms là sont prononcés on sait qu'on va surement en apprendre une bien bonne au dépens du curé, des flics, ou de quiconque sur notre chemin. Depuis l'enfance, de nos blagues de potaches à nos aventures à l'armée, de nos culottes courtes à la fête de nos noces, nos voisins, nos patrons, nos copains, tous auraient une bonne histoire à raconter sur notre compte. Marcel et Maurice, des vrais copains, à l'ancienne. De ceux dont la vie entière semble destinée à se dérouler dans le même décor de ce petit village de l'Orne. Copains depuis toujours, et pour toujours.
 
Quand la chasse est pas bonne, desfois on braconne... Un tour en 4L dans le champ du bas de La Cordelière, et c'est bien rare qu'on revienne pas avec deux trois lapins ou un beau lièvre.
Je connais pas grand chose de meilleur qu'un bon civet. A part peut être un beau faisan ou un colvert rôti, devant la cheminée, chez le père et la mère. Mais bon, on se contentera bien de ce qu'on tuera ce matin, ne serait-ce qu'une perdrix.
 
Il fait pas chaud, j'ai bien fait de pas emmener les petiots. De toutes façons ils sont mieux à la maison occupés à jouer avec leurs cadeaux du père Noël. Le grand, depuis que je l'ai emmené à la messe de Saint Hubert, le 15 août, de temps en temps il me demande que je l'emmène avec moi à la chasse. Mais c'est pas pour plaire à sa mère, et comme je veux pas d'ennuis, j'y trouve des raisons pour qu'il reste avec elle. Il est quand même venu une fois... Quand on a levé des colverts, il a sursauté au coup de fusil. Puis après il m'a dit que la fumée du fusil, elle "sentait bizarre".
Il serait bien, là, avec moi, mon petiot. Les bottes en caoutchouc dans la rosée, à tenter de deviner dans la brume, une cache, un terrier, une nichée... Je pourrais lui montrer comment on repère une trace, où et comment chercher le gibier, comment l'approcher. Je lui enseignerai à commander au chien. C'est un bon chien, le Pompon. Je crois bien que même le petiot pourrait le conduire.
L'autre jour, chez le père à Maurice, je l'ai regardé observer la peinture au mur, celle ou les deux pointers sont à l'arrêt devant un bosquet. Ca l'intriguait.
 
Après un bon café-goutte, on sort de chez Edouard, le père à Maurice, réchauffés. Dans la cour, on charge les canons de nos juxtaposés. Culasse ouverte, le fusil sur l'avant bras, on commence à avancer entre l'écurie et la grange. J'atrape mon paquet de Saint Claude dans la poche de ma veste et ma pipe dans mon pantalon. Je la bourre d'une main. Ca épate tout le monde ça : je peux faire les choses de la main droite ou de la gauche avec la même aisance. Ma femme, qu'est maîtresse d'école, m'a appris qu'il y a un mot pour dire ça. Ambidextre.
On attends Maurice. En sortant Zorro de sa gibecière, il l'a laissé echapper. Le voilà parti sous le tas de bois du père. Ca va pas être simple de le récupérer. Déplacer un tas de bois maintenant... C'est rentrer bredouille ! Maurice ferme sa culasse, met son fusil sur son épaule et grimpe sur le tas de bois. Il commence a sauter dessus, espérant faire sortir la bestiole. Je range mon tabac, mais je manque ma poche, et le paquet tombe au sol. Amusé par les clowneries de Maurice qui saute tant qu'il peut sur le tas de bois, j'ai pas vu. C'est Edouard qui se baisse pour le ramasser. Je baisse les yeux vers lui.
Dans le même temps, le pied gauche de Maurice glisse, rippe et se coince dans un interstice. Il bascule en gueulant vers l'avant et la bretelle de son fusil échappe de son épaule. Au moment ou le fusil frappe le sol les deux coups partent ensemble.
furet2.jpgSous le choc je tombe lourdement sur le dos. J'entends quelqu'un hurler. Je comprends pas. Et puis j'ai du mal à respirer et un goût étrange dans la bouche... Merde ! C'est du sang ! C'est le goût du sang ! Pourquoi j'ai du sang dans ma bouche ? J'ai les poumons qui me brûlent. J'étouffe. Nom de dieu, c'est Maurice qui hurle ! Je reconnais sa voix maintenant. Je viens de comprendre... J'ai des bulles dans la gorge quand je respire... Je vais y rester. Les gosses... Maman...
Au ciel, les nuages déffilent. Maurice hurle. Et moi je meurs.
 
L'adjudent Bailli monte les trois marches de pierre et frappe à la porte d'entrée. Il y a deux choses qu'il déteste dans ce métier : intervenir sur un accident de la route la nuit quand il pleut, et faire ce qu'il est venu faire chez cette femme.
Elle s'approche et regarde entre les montants avant d'ouvrir la porte. Elle ouvre. Bailli et le gendarme qui l'accompagne lèvent la main au képi dans un salut règlementaire.
_ Mme C. ?
_ Oui.
Un peu gêné l'adjudent demande :
_ Bonjour, pouvons nous entrer ?
La jeune femme s'efface pour les laisser passer puis ferme la porte. D'un coup d'oeil Bailli s'adresse au gendarme. L’autre, avisant les enfants qui les observent debouts, intimidés devant l'entrée de la cuisine , se dirige vers eux.
_ Oh ! mais le Père Noël est passé ici on dirait ! dit il avec l'air le plus enjoué qu'on puisse faire semblant d'avoir.
Les gosses trop content qu’on s’interesse à leurs joujoux retournent au salon.
Bailli sent le noeud se serrer plus fort dans son estomac, et s'adressant à la jeune femme lui dit :
_Madame, votre mari vient d'avoir un accident. La gendarmerie de C. vient de nous prévenir. Il n'a pas survécu à ses blessures. Je suis sincèrement dés...
Avant qu'il ait fini sa phrase elle s'effondre évanouie sur les dalles noires et blanches de sa cuisine.
 
*
* *
 
Mardi 29 Mars 1976.
En sortant du tribunal, Maurice a les yeux rouges. Son père est venu, pour témoigner. Lui aussi est encore secoué. Il doit la vie à un paquet de tabac. En remontant dans la DS d'Edouard, Maurice se sent un peu à l'étroit dans son costume. Il se demande s'il s'en remettra un jour, de la mort de son copain. S'il pourra vivre avec le souvenir de ce dimanche de décembre dernier. Dans l’auto, pas un mot.
 
roulotte1.jpgEn rentrant à C. juste à la sortie de Domfront, ils croisent un convoi de roulottes. Les bohémiens arrivent pour la fête foraine. Ils installeront leur atelier de rempaillage de chaises. Une vieille lira dans les mains l’avenir de jeunes inconscients.
Alors Maurice repense à cette soirée de fête foraine, et à la prédiction de la vieille bohémienne. Et il revoit le mariage de son ami. La naissance de ses garçons à seize mois d'écart. Son empressement ridicule à bâtir cette maison en préfabriqué, au lieu d'attendre un peu pour avoir mieux. Son acharnement à travailler, et prendre en plus des chantiers au noir. Son entrain à faire la fête... Tout dans les agissements de Marcel trouve un sens nouveau pour Maurice.
La vieille bohémienne savait, et elle lui avait dit.
 
Et lui, il l'avait crue. Et il avait eu raison.
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26 juin 2007 2 26 /06 /juin /2007 12:09

J'ai rencontré un tigre blanc. Il s'appelait Mishan.
A cette époque, il restait bien peu d'individus de cette couleur qui ne subisse pas les affres de la consanguinité. On avait bien avancé des tas de théories, pour faire la preuve que c'était une éspèce à part entière, mais toutes avaient rapidement été démenties.
Je m'appelle Chrystalle Everglade. En 1994, je fus employée par Edwyn Mayerson comme assistante vétérinaire au National Zoo de Washington. Je fus affectée au quartier des fauves, parce que j'avais fait valoir une connaissance approfondie de la physiologie féline et des pathologies susceptibles d'être développées par les grands félins en captivité. Ayant fait deux stages d'étude en Amérique du sud, et un à Sumatra, je n'eus guère de difficultés à convaincre la direction que j'étais la femme de la situation. C'est ce qu'on demande après tout, dans ce métier comme ailleurs, des gens de terrain, expérimentés, et qui en connaissent un rayon.


Le tigre blanc, c'est un tigre du bengale, mais "blond avec des yeux bleus". Et c'est tout. Aprés tout, c'est pareil chez les humains... deux parents aux yeux sombres et cheveux bruns, mais tous deux également porteurs, dans leur bagage génétique, du gène responsables des yeux bleus, et des cheveux blonds peuvent très bien concevoir un petit enfant blond, avec des yeux bleus.
Seulement chez les tigres, c'est juste un peu plus rare.  Parce que pour se reproduire, et donc transmettre ses gênes, il faut survivre, c'est à dire se nourrir. Pour un chasseur comme le tigre du bengale, puissant, certes, mais massif et de très grande taille, le camouflage est un élément prépondérant. Or, le pelage plus clair des tigres blancs est moins bien adapté, car plus facilement repérable dans son milieu. Cela rend la chasse un peu plus difficile. Et la survie de ces spécimen rare.

Alors...

Mais laissez moi vous raconter comment j'ai rencontré Mishan...
Mon stage à Sumatra avait plutôt bien commencé : une courte croisière de nuit, à bord d'un bâteau qui  s'appelait "le Cygne Noir". Une nuit délicieuse, chaude, claire, criblées de sifflements et de stridulations d'insectes. 

Nous glissions entre les berges d'un bras de fleuve, quand, entre deux touffes de papyrus j'ai croisé son regard d'acier... instant inoubliable. Un tigre blanc buvant l'eau du fleuve, tapi dans la végétation, me fixait de ses magnifiques yeux bleus. Nous restâmes ainsi, les yeux dans les yeux, quelques secondes, lorsqu'une voix qui ne pouvait venir que de l'intérieur de ma tête me dit : "je t'attendais !". Une voix calme, posée, imposante, mais bienveillante. Un regard perçant, profond... Aucun doute, le tigre venait de me... parler !

un petit rappel de la consigne
Ecrire un texte, prose ou poème commençant par :
J'ai rencontré un tigre blanc
l'aventure se déroule la nuit
le lieu : dans les îles
Avec une femme prénommée Crystalle
avec un mot imposé : le papyrus
et un animal : le cygne noir
Ceci dans l'ordre que vous voulez.
Bonne chance...
Retrouvez ici les liens vers les personnes ayant participé.
http://www.mamirene.com/article-6672459.html

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19 juin 2007 2 19 /06 /juin /2007 06:17
Un homme, dans la nacelle d’une montgolfière ne sait plus où il se trouve. Il descend et aperçoit une femme au sol. Il descend encore plus bas et l’interpelle :
 
«Excusez-moi ! Pouvez-vous m’aider ? J’avais promis à un ami de le rencontrer et j’ai déjà une heure de retard car je ne sais plus où je me trouve. » 
 
La femme au sol répond :
 
« Vous êtes dans la nacelle d’un ballon à air chaud à environ 10 m du sol. Vous vous trouvez exactement à 49°, 28’ et 11’’ Nord et 8°, 25’ et 58’’ Est ».
 «Vous devez être ingénieur» dit l’aérostier.
 «Je le suis«, répond la femme, «comment avez-vous deviné ?»
 «Eh bien», dit l’aérostier, «tout ce que vous m’avez dit à l’air techniquement parfaitement correct, mais je n’ai pas la moindre idée de ce que je peux faire de vos informations et en fait je ne sais toujours pas où je me trouve. Pour parler ouvertement, vous ne m’avez été d’aucune aide. Pire, vous avez encore retardé mon voyage.»
 
La femme lui répond :
«Vous devez être un «top manager».»
«Oui,» répond l’homme avec fierté, «mais comment avez-vous deviné ?»
«Eh bien», dit la femme, «vous ne savez ni où vous êtes, ni où vous allez. Vous avez atteint votre position actuelle en chauffant et en brassant une énorme quantité d’air. Vous avez fait une promesse sans avoir la moindre idée comment vous pourriez la tenir et vous comptez maintenant sur les gens situés en dessous de vous pour qu’ils résolvent votre problème. Votre situation avant et après notre rencontre n’a pas changé, mais comme par hasard, c’est moi maintenant qui à vos yeux en suis responsable !»

auteur inconnu. Reçu dans mon mail en 2004
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15 juin 2007 5 15 /06 /juin /2007 17:19

_ Dupeyron ! Faudra penser à poser vos reliquats de congés de l'an passé ! Sinon je vous les sucre !
Mon collègue se retourne vers la porte du bureau, où Marcadet, le chef de service, un pied dedans un pied dehors finit de l'interpeller.
_ Je veux votre demande pour demain dernier delai ! Après je peux plus vous garantir que vous pourrez les prendre...
_ Je m'en occupe ! répond Dupeyron, en même temps qu'il pense : "Et meeeerde !!"

 

Dupeyron, il aime pas les vacances. Enfin, c'est pas les vacances, qu'il aime pas... c'est être chez lui, qui l'emmerde. Parce que chez lui, y'a sa femme. Et sa femme, à Dupeyron, parait que c'est pas un cadeau. Enfin c'est lui qui le dit. Mais je le crois volontiers, vu l'energie qu'il met à se sauver de chez lui. 
Non j'vous jure, c'est pas des barres. Le matin quand j'arrive, il est déjà là depuis facile une heure et demie. Et il reste vachement plus tard que moi le soir. On en parle pas, en fait, mais je pense vraiment qu'il a un gros problème avec sa femme.  Pour vouloir passer autant de temps au boulot, avec le boulot qu'on fait, faut vraiment qu'elle le fasse chier velu ! Quand je pense que dans huit mois il est à la retraite...

Dupeyron se retourne vers son clavier en maugréant. Il triture nerveusement sa pile de formulaire en cours de traitement, attrape son paquet de clopes et sort en griller une.
En revenant, il vient droit vers moi, il pose une fesse sur mon bureau, et hésitant un moment, me demande :
_ Dis, tu me rendrais pas un service... faut qu'je pose des congés, là, mais... j'aurais besoin que tu... tu m'appelles au téléphone.
_ Hein ?! dis-je fronçant les sourcils.
_ Ouais ! Je pars en congés ! On laisse passer le week end, et disons le lundi, et mardi, tu m'appelles en disant qu'on a besoin de moi au bureau !
Là, je reste bloqué ! Il me demande ça à moi, moi qui serais prêt à m'abaisser à faire des choses dingues, si ça me permettait de prendre tous les congés abandonnés par tous les employés de tout cet étage, voire des autres... Je ferais limite n'importe quoi pour me tirer d'ici trois semaines par mois !
_ Dupeyron, t'es malade ? Tu vas pas flinguer tes vacances pour revenir au boulot ?
_ Mais je peux pas rester chez moi... Tu sais bien... J't'ai déjà dit comment ça se passe ! Sois sympa, juste un coup de fil... Je te demande pas de lui mentir, juste d'appeler et de demander à me parler, le reste je m'en occupe...


Non mais j'hallucine !

_ Tu devrais consulter... Y'a un truc qui va pas chez toi Dudu... Va voir un femmologue ou je sais pas ,moi...
_ Allez j'peux compter sur toi ? Tu m'appelles mardi matin ? Tu peux bien faire ça pour moi ! Tu m'le dois bien...

Je savais bien qu'un jour faudrait que je paye pour ça... Dupeyron, je vous ai dit qu'il est là de bonne heure, et moi... ben, j'ai du mal avec l'heure de début du boulot... J'suis souvent là... Disons... Quelques minutes plus tard. Pas beaucoup, hein ! j'abuse pas... Mais bon 10 minutes par ci par là... Donc, j'ai conclu un accord avec Dudu. Je laisse ma carte de pointage au bureau. A huit heure trente pétante il m'appelle et si tout est OK, il pointe pour moi !  En échange, je lui offre le café le midi à la cantine. C'est notre accord. Et ça roule comme ça depuis bientôt deux ans. Mais c'est vrai que je gagne plus que lui. Alors là, je suis pas en position pour refuser sa demande.
_ C'est d'accord, je t'appelle mardi...
Dupeyron est soulagé, il regagne sa place, saisit sa demande de congés dans l'intranet, et recommence à éplucher ses formulaires...

 

Mardi.
_ Allo, bonjour ! Madame Dupeyron ?...
_ Oui !
_ Pardon de vous déranger madame, pourrais je parler à votre mari s'il vous plaît ?
_ Je vous le passe, ne quittez pas...
Des pas sur le parquet de bois, puis des voix, au loin, puis d'autres pas...
_ Allo ?
_ Dudu, c'est moi !
_ Oui... dit il sur un ton sérieux.
_ fais pas le con, tu m'as demandé d'appeler... je chuchote presque
_ Ah ?! Mais... De quelle tranche ? et Méraud, il peut pas s'en occuper Méraud ?...
_ ...
Je reste sans voix, on dirait qu'il a bûché son rôle... Il laisse des blancs et tout...
_ Bon, ben donnez moi une demi-heure, et j'arrive, Mr le sous directeur.
J'entends une voix râler au fond du couloir, je ne comprends pas les mots, mais je sens bien l'idée...
Et Dupeyron raccroche.


Trente trois minutes plus tard, il entre dans le bureau en sifflotant, s'approche de moi en me faisant un clin d'oeil et levant les pouces et me lance :
_ A midi, la cantine... C'est pour moi !

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9 juin 2007 6 09 /06 /juin /2007 01:30

Dans la fraîche clarté d'un matin brumeux de novembre, je traverse le pré qui sépare nos maisons. Des lambeaux de brume epars semblent s'accrocher aux branches et aux troncs des arbres, tels les bras fantômatiques et déformés des âmes toumentées qui hantent certains lieux. Mais les arbres restent sourds à leurs plaintes muettes, et, impassible, le doux et froid soleil de l'automne dissipe inexorablement ces esprits du brouillard.
J'étais extrèmement sensible ce jour là à l'existence des choses, à la présence latente d'une vie endormie et cachée, qui s'éveillait comme le jour avançait. Etrangement, je me surpris à découvrir la présence forcément habituelle de choses que je ne voyais jamais d'habitude. Elles prenaient des qualités supplémentaires, des aspects que je ne leur connaissais pas, des couleurs et des nuances nouvelles, et surtout une sorte de luminescence rayonnante qui me surprit et me saisit au coeur. C'était comme si elles attiraient mon attention par quelque procédé de parole silencieuse, de mimique végétale, ou de télépathie de la plénitude universelle.
Le fait est que j'étais en paix avec mon âme et rien ne vint troubler le calme de la scène dont j'étais alors témoin et acteur. Rien si ce n'est la perception de cette insistance que les arbres, les pierres, les herbes, les animaux même semblaient montrer à me crier quelque chose. Comme l'echo lointain d'un long appel dans le silence du matin.
Les couleurs de la vitalité endormie de l'automne rayonnaient d'un éclat inhabituel, étrange et féérique qui me transportait de bien-être et d'étonnement.
J'entrai chez toi et oubliai bien vite tout ceci. Jusqu'à hier. Hier ou j'ai appris... Que ma fin est proche.
Aujourd'hui, j'ai compris ce que voulaient me dire ces choses etrangement vivantes. Elles le savaient. Elles savaient ce que je sais maintenant. Ma fin est proche. En fait elle l'a toujours été : pour nous dès le début, la fin est proche !
Et je n'ai que le temps de vous souffler ce qui m'a été dit dans la fraîche clarté d'un matin brumeux de novembre : "Vois ! Vois comme la vie est délicieuse quand on s'y laisse aller, vois comme elle est belle, et vois ce monde comme il vibre et palpite et respire. Entends comme il bruisse, et chante et fremit... Vois comme tu vis !"
Et moi je vous l'affirme, et je l'ai su trop tard pour en bien profiter : la vie n'est pas une course qu'on court contre le temps, ou il rattrape vite l'avance que l'on prend.
Sachez vivre, et vivez, la vie prend son temps, mais la mort n'attend pas que l'on sache mourir.

25/11/1989 Angers.

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1 juin 2007 5 01 /06 /juin /2007 16:57

anti_bug_fck1977, le mardi 22 Novembre, à 9h50 du matin, Emile Bonnat, ouvrier dans une filature, domicilié à B. chemin de La Roque, et qui venait d'hériter à la mort de sa mère, payait au comptant 7.950 Francs en échange du modèle de présentation de la Citroën Dyane AK400 beige Colorado du garage de L. C'était une des 141 Acadianes produites cette année là. La première série.
Au même instant, à l'autre bout du pays, dans la classe de CE1 de Mme Dury, un petit garçon de 7 ans qui ne sait pas encore qu'il sera un jour vendeur d'automobiles, apprend à imprimer comme Gutenberg en rangeant des lettres de plomb dans un composteur.
 
Emile Bonnat, je l'ai démarché. Je suis vendeur. Vendeur de voitures, à l'agence Citroën à L. Le Patron de l'agence m'a embauché pour constituer un vrai fichier de clients, parce que « jusque là », les affaires avait toujours marché toutes seules... « Jusque là », ceux qui venaient pas d'eux mêmes, pour changer d'auto, le patron les trouvait au stade, le dimanche, ou bien au marché. Ou bien ils s'arrêtaient sur le parking des VO*, intrigués d'y voir la voiture d'un copain de chasse, d'un collègue de l'usine, et on les appâtait avec un modèle d'exposition. Ou bien, lors d'une révision, ou d'une réparation à l'atelier, constatant l'état désastreux (ou pas !) d'une auto, on attirait le client dans le hall d'exposition ou sur le parc extérieur. Après, c'était des palabres comme sous les baobabs en Afrique, et si t'es pas trop mauvais, et que tu gères ta marge de manœuvre, tu peux vendre...
Mais de nos jours, ca devient dur... La concurrence... Celle des constructeurs français... mais aussi, et surtout, celle de tous les constructeurs asiatiques... Le patron nous en parle souvent. C'est pour ça qu'il veut changer de tactique. Aujourd'hui, faut occuper le terrain. "La prospection". Voilà ce qu'il faut faire. Alors il m'a embauché. Pour que je lui fasse "la prospection" dans le secteur, et que je constitue un fichier de clients. Tu sonnes aux portes, tu te présentes, tu papotes un peu, tu fais le point sur les besoins en bagnole, tu laisses ta carte, un prospectus sur la promo du moment. Avant de partir, t'essayes de te faire indiquer le client suivant, et tu recommences chez un autre... En rentrant au garage, tu remplis ta fi-fiche, et tu la classes... Et demain, tu recommences.
Ca avait l'air facile, je savais rien faire, mais je pensais pouvoir m'en sortir. Enfin, au moins comme pour l'imprimerie avec les lettres en plomb.
 
Un jour, donc, je suis passé chez Emile Bonnat. Il taillait ses rosiers. Il a levé la tête quand son chien s'est mis à gueuler parce que j'approchais. Le portail était fermé à clé. Il n'est pas venu ouvrir. Même pas fait un pas. Il est resté près de ses rosiers, le sécateur à demi ouvert. D'un sifflement, il a rappelé le chien.
_ Saïga, au pied ! hurla-t-il avec une voix gutturale, avant d'ajouter : "C'est poul quoi ?" d'un ton bourru en lançant le menton en avant, et en roulant le "r".
_ Bonjour, pardon de vous déranger Mr Bonnat, je suis le nouveau vendeur de chez Citroën, à L. et je passe faire ma tournée, pour me présenter aux clients du garage. Faire le point avec eux…
_ J'ai pas besouen de lien! Je sais ou te tlouver. Si pal cas j'ai besouen, je descendlai, et je te velai au galage !...
Bon, vu comment ça s'engage... Vais pas m'attarder...
_ Comme vous voudrez !... Adichat... Je réponds.
Je le salue de la main, et je tourne les talons.
 
Je pense en remontant dans ma voiture que ce type est un péquenot, que "si par cas" il descend un jour de sa montagne, jamais il viendra me voir moi. Que je commence sérieusement à en avoir marre. De ce job, de ces gens, de ce bled. De me faire chier comme ça pour un boulot qui ne m'éclate pas.
Je démarre ma Saxo "Essayez moi !" et j’allume l’autoradio. En traversant la forêt de B., je fredonne : "...and I miss youuuu, like the desert miss the rai-ain..."**, parce que je trouve que c'est une jolie formule, pour une chanson en anglais.

 

1996, le mardi 26 Mars, Emile Bonnat descend à L. Il ouvre le portail, et s'installe au volant de l'acadiane. Sur la banquette, côté passager, le prospectus présentant la Citroën C15 First.
A l'arrière, près du chien, entre le bidon d'huile et la caisse à outils, retenue à la barre qui bloque la roue de secours par un tendeur de vélo, une lessiveuse en tôle. De ce métal particulier dont on faisait aussi, apparemment, les Solex, et que, ignorant son nom et au vu de sa faible résistance aux chocs, et de la facilité avec laquelle il se plie, j'avais baptisé le "merdanium".
Quand j'étais gosse, ce genre d'ustensile, une lessiveuse en merdanium, servait principalement à deux choses : bouillir le linge, et parfois, avec un couvercle percé d'un trou ou l'on peut passer un grand thermomètre, stériliser les conserves et les pâtés maison de ma grand mère. Mon frère et moi, on se cachait dedans, et parfois, on utilisait le couvercle comme bouclier, quand on jouait aux vikings...
Emile Bonnat, lui, il en fait un autre usage...
L'acadiane démarre en rugissant et s'engage sur le chemin de La Roque.
  
Au même moment, à l’autre bout du canton, assis à mon bureau, dans le show room de l’agence, je prépare ma tournée de prospection… Mon fichier de clients commence à avoir une taille respectable, même si, au final, je vends quasiment rien. Mais bon, on ne m’en tient pas trop rigueur, parce que je débute. C’est juste que du coup, mon salaire se limite à mon fixe. Et c’est maigre…
 
Un bruit de moteur que j’aime me fait lever la tête. Une acadiane beige se gare sur le parc devant la vitrine. Un bonhomme bedonnant en descend, casquette de chasse, veste de pêche sans manches sur une chemise type F1 de l’Armée de l’Air qui doit venir du surplus Militaire qu’on voit au marché, et un pantalon vert foncé, du genre qu’on achète au magasin de la Coop agricole, qui plonge dans une paire de bottes en caoutchouc marron. Il ouvre la porte arrière de la fourgonnette.
_ Saïga, au pied ! dit-il entre ses dents.
Le chien s’exécute et s’assoit au pied d’Emile, qui referme la porte arrière de sa voiture. Puis il entre dans le hall, et après un coup d’œil circulaire, il avise mon bureau et se dirige vers moi.
Le chien le suit, exactement au pied. Il est intriguant ce chien, il a un œil bleu pâle et l’autre marron avec une tâche bleue. Ca fait bizarre. Mais c’est beau…
_ Adieu ! C’est toi qui étais passé à La Loque l’autle fois… Je t’avais dit que je viendlais si j’avais besouen… Eh Bé ! Té, me voilà. Je viens chelcher ça !
Il me tend le livret en carton glacé de la « C15 First » que j’avais envoyé à tous mes prospects dont la fiche portait la mention « Chasseur ». Ma carte de visite y est encore agrafée.
Un peu surpris, je l’invite à s’asseoir en lui montrant le fauteuil à ma droite. Ignorant mon geste, il se dirige vers le C15 d’exposition, un peu en arrière de mon bureau, à gauche. Il ouvre la porte, se penche à l’intérieur en jetant un regard attentif au tableau de bord, puis à l’arrière, dans le caisson.

_ Bon, tu m’y mettlas le poste ladio ! dit il en ressortant.
_ Ah, bien d’accord ! Mais pour cela Mr Bonnat, il faudra compter un petit supplément, parce que c’est pas prévu d’origine.
_ Je vais te laisser ma camionnette, alols commence pas à m’emmelder, avec tes suppléments petit ! Hé ? Allez, tu me fais les papiers, là, vite fait, qu’aplès çà j’ai à faile au malché.
Et il ressort, son chien toujours à ses pieds, marchant vers son acadiane, certainement pour prendre son chéquier…

Je reste interloqué. Le modèle d’expo ! Il veut le modèle d’expo là, maintenant, tout de suite ! Je sais pas si je peux, mais décidé comme il est, vaut mieux pas que je discute, sinon il serait foutu d’aller en face chez ce con de Peugeot… Et j’ai encore rien vendu cette semaine. Je sors un contrat de vente et j’appelle le patron, dont le bureau est de l’autre côté du hall…
_ C’est Mr Bonnat ! Il veut le C15 d’expo… De suite…
_ …
Je l’entends sourire au bout du fil.
_ Hé bé ! Vends-lui ! Té !
Et il raccroche.
Je raccroche aussi et ça re-sonne aussitôt…
_... s’il revient avec la lessiveuse, offre lui la radio !
Je me tourne vers le bureau vitré du chef. Il raccroche en me souriant, hilare.
La lessiveuse ? Qu’est ce que c’est que cette histoire ?…

Je me rassois. Je prends mon stylo et je commence à remplir le formulaire. Je relève les yeux à un moment, et je vois l’Emile qui rentre dans le hall, avec entre les bras une lessiveuse en merdanium, terreuse dessous, et poussiéreuse dessus. Une ficelle de lieuse rejoint les deux poignées latérales en passant dans celle du couvercle.
Il vient à mon bureau, dépose sa lessiveuse dégueulasse dessus et s’assoit. Il s’appuie contre le dossier du fauteuil et tente laborieusement de sortir son laguiole de sa poche de pantalon.
_ J’ai vu avec le chef, et vous pourrez partir avec votre auto d’ici demi-heure, ça vous va ?
_ Oui, oui, ça va ! Ca va ! dit-il.
Il se lève, ouvre son laguiole, et entreprend de couper la ficelle de lieuse qui maintient le couvercle de la lessiveuse, soulève le couvercle, et le dépose à terre… Comme je suis assis, je ne vois pas ce qu’il y a dedans, mais une idée me traverse l’esprit, soudainement : il va quand même pas me payer en pâté ?!
_ Dîtes moi Mr Bonnat, pour le règlement, vous aurez un chèque certifié par votre banque ? Vous pourrez me le ramener avant de partir avec la voiture ?
_ Les Banquiers c’est tout voleul et compagnie… Moi le poignon, je leul laisse pas. Je me le galde là haut, dans un coffle folt.
Et là, il pousse la lessiveuse vers moi. Je me lève pour en avoir le cœur net.

A l’intérieur, jusqu’aux deux tiers de la hauteur, des billets de banque en vrac. De 500, de 200, de 100, de 50, de 20 et de 10 francs. Y’en a qui datent de 1964, d’autres que j’ai pas revus depuis mon enfance, et d’autres qui sont sortis cette année. Des Pascal, des Curie, des De Bussy, des St Exupery, des Montesquieu, des Corneille… Incroyable ! Un bonheur pour un numismate, assurément. La cagnotte d'Harpagon.
Je regarde Mr Bonnat, ébahi. Il me regarde, et très sérieux me dit :
_ Allez, comptes le plix de l’auto. Moi, je sais pas compter. Tu me fais un petit labais poul celle que je te laisse, et tu dis au petit de l’atelier qu’il blanche le poste. Et ne t’avises pas de me voler, hé ? Que je sais ou tu habites !
Ca m’a pris deux heures pour tout compter trois fois et remplir les papiers. Le patron était content. Moi aussi. Je crois qu’Emile Bonnat aussi, parce qu’en partant, dans sa C15 neuve, il m’a discrètement glissé un billet de 200 balles et un pâté de lièvre maison.
 
J'ai toujours trouvé que le bruit de ces moteurs avait un côté parfaitement féminin. Je suis incapable d’expliquer pourquoi je ressens ça… C'est assez étrange, mais, bien que ce soit complètement stupide, aujourd'hui encore, chaque fois que j'entends démarrer, ou passer près de moi, une 2CV ou une Dyane, cette sensation me frappe.
Et surtout, cela me rappelle la lessiveuse en merdanium cachée là haut quelque part, et dans laquelle dort la fortune d’Emile Bonnat.

*VO : Véhicule d'Occasion dans le jargon professionnel...
** : "...et tu me manques, comme la pluie manque au désert..."

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31 mai 2007 4 31 /05 /mai /2007 13:39
anti_bug_fck_ Dîtes moi Mr Bonnat, pour le règlement, vous aurez un chèque certifié par votre banque ? Vous pourrez me le ramener avant de partir avec la voiture ?
_ Les Banquiers c’est tout voleul et compagnie… Moi le poignon, je leul laisse pas. Je me le galde là haut, dans un coffle folt.
Et là, il pousse la lessiveuse vers moi. Je me lève pour en avoir le cœur net. 

lessiveuse3.jpgA l’intérieur, jusqu’aux deux tiers de la hauteur, des billets de banque en vrac. De 500, de 200, de 100, de 50, de 20 et de 10 francs. Y’en a qui datent de 1964, d’autres que j’ai pas revus depuis mon enfance, et d’autres qui sont sortis cette année. Des Pascal, des Curie, des De Bussy, des St Exupery, des Montesquieu, des Corneille… Incroyable ! Un bonheur pour un numismate, assurément. La cagnotte d'Harpagon.
Je regarde Mr Bonnat, ébahi. Il me regarde, et très sérieux me dit :
_ Allez, comptes le plix de l’auto. Moi, je sais pas compter. Tu me fais un petit labais poul celle que je te laisse, et tu dis au petit de l’atelier qu’il blanche le poste. Et ne t’avises pas de me voler, hé ? Que je sais ou tu habites !
Ca m’a pris deux heures pour tout compter trois fois et remplir les papiers. Le patron était content. Moi aussi. Je crois qu’Emile Bonnat aussi, parce qu’en partant, dans sa C15 neuve, il m’a discrètement glissé un billet de 200 balles et un pâté de lièvre maison.
 
ForetdeB.jpgJ'ai toujours trouvé que le bruit de ces moteurs avait un côté parfaitement féminin. Je suis incapable d’expliquer pourquoi je ressens ça… C'est assez étrange, mais, bien que ce soit complètement stupide, aujourd'hui encore, chaque fois que j'entends démarrer, ou passer près de moi, une 2CV ou une Dyane, cette sensation me frappe. 
Et surtout, cela me rappelle la lessiveuse en merdanium cachée là haut quelque part, et dans laquelle dort la fortune d’Emile Bonnat.
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30 mai 2007 3 30 /05 /mai /2007 11:36

Un peu surpris, je l’invite à s’asseoir en lui montrant le fauteuil à ma droite. Ignorant mon geste, il se dirige vers le C15 d’exposition, un peu en arrière de mon bureau, à gauche. Il ouvre la porte, se penche à l’intérieur en jetant un regard attentif au tableau de bord, puis à l’arrière, dans le caisson.

_ Bon, tu m’y mettlas le poste ladio ! dit il en ressortant.
_ Ah, bien d’accord ! Mais pour cela Mr Bonnat, il faudra compter un petit supplément, parce que c’est pas prévu d’origine.
_ Je vais te laisser ma camionnette, alols commence pas à m’emmelder, avec tes suppléments petit ! Hé ? Allez, tu me fais les papiers, là, vite fait, qu’aplès çà j’ai à faile au malché.
Et il ressort, son chien toujours à ses pieds, marchant vers son acadiane, certainement pour prendre son chéquier…
Je reste interloqué. Le modèle d’expo ! Il veut le modèle d’expo là, maintenant, tout de suite ! Je sais pas si je peux, mais décidé comme il est, vaut mieux pas que je discute, sinon il serait foutu d’aller en face chez ce con de Peugeot… Et j’ai encore rien vendu cette semaine. Je sors un contrat de vente et j’appelle le patron, dont le bureau est de l’autre côté du hall…
_ C’est Mr Bonnat ! Il veut le C15 d’expo… De suite…
_ …
Je l’entends sourire au bout du fil.
_ Hé bé ! Vends-lui ! Té !
Et il raccroche.
Je raccroche aussi et ça re-sonne aussitôt…
_... s’il revient avec la lessiveuse, offre lui la radio !
Je me tourne vers le bureau vitré du chef. Il raccroche en me souriant, hilare. 
La lessiveuse ? Qu’est ce que c’est que cette histoire ?…

Je me rassois. Je prends mon stylo et je commence à remplir le formulaire. Je relève les yeux à un moment, et je vois l’Emile qui rentre dans le hall, avec entre les bras une lessiveuse en merdanium, terreuse dessous, et poussiéreuse dessus. Une ficelle de lieuse rejoint les deux poignées latérales en passant dans celle du couvercle. 
laguiole-chasse.jpgIl vient à mon bureau, dépose sa lessiveuse dégueulasse dessus et s’assoit. Il s’appuie contre le dossier du fauteuil et tente laborieusement de sortir son laguiole de sa poche de pantalon.
_ J’ai vu avec le chef, et vous pourrez partir avec votre auto d’ici demi-heure, ça vous va ?
_ Oui, oui, ça va ! Ca va ! dit-il.
Il se lève, ouvre son laguiole, et entreprend de couper la ficelle de lieuse qui maintient le couvercle de la lessiveuse, soulève le couvercle, et le dépose à terre… Comme je suis assis, je ne vois pas ce qu’il y a dedans, mais une idée me traverse l’esprit, soudainement : il va quand même pas me payer en pâté ?!
(à suivre)
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29 mai 2007 2 29 /05 /mai /2007 11:39
1996, le mardi 26 Mars, Emile Bonnat descend à L. Il ouvre le portail, et s'installe au volant de l'acadiane. Sur la banquette, côté passager, le prospectus présentant la Citroën C15 First.
A l'arrière, près du chien, entre le bidon d'huile et la caisse à outils, retenue à la barre qui bloque la roue de secours par un tendeur de vélo, une lessiveuse en tôle. De ce métal particulier dont on faisait aussi, apparemment, les Solex, et que, ignorant son nom et au vu de sa faible résistance aux chocs, et de la facilité avec laquelle il se plie, j'avais baptisé le "merdanium".
Quand j'étais gosse, ce genre d'ustensile, une lessiveuse en merdanium, servait principalement à deux choses : bouillir le linge, et parfois, avec un couvercle percé d'un trou ou l'on peut passer un grand thermomètre, stériliser les conserves et les pâtés maison de ma grand mère. Mon frère et moi, on se cachait dedans, et parfois, on utilisait le couvercle comme bouclier, quand on jouait aux vikings...
Emile Bonnat, lui, il en fait un autre usage...
L'acadiane démarre en rugissant et s'engage sur le chemin de La Roque.
  
Au même moment, à l’autre bout du canton, assis à mon bureau, dans le show room de l’agence, je prépare ma tournée de prospection… Mon fichier de clients commence à avoir une taille respectable, même si, au final, je vends quasiment rien. Mais bon, on ne m’en tient pas trop rigueur, parce que je débute. C’est juste que du coup, mon salaire se limite à mon fixe. Et c’est maigre…
 
Un bruit de moteur que j’aime me fait lever la tête. Une acadiane beige se gare sur le parc devant la vitrine. Un bonhomme bedonnant en descend, casquette de chasse, veste de pêche sans manches sur une chemise type F1 de l’Armée de l’Air qui doit venir du surplus Militaire qu’on voit au marché, et un pantalon vert foncé, du genre qu’on achète au magasin de la Coop agricole, qui plonge dans une paire de bottes en caoutchouc marron. Il ouvre la porte arrière de la fourgonnette.
_ Saïga, au pied ! dit-il entre ses dents.
Le chien s’exécute et s’assoit au pied d’Emile, qui referme la porte arrière de sa voiture. Puis il entre dans le hall, et après un coup d’œil circulaire, il avise mon bureau et se dirige vers moi.
Le chien le suit, exactement au pied. Il est intriguant ce chien, il a un œil bleu pâle et l’autre marron avec une tâche bleue. Ca fait bizarre. Mais c’est beau…
_ Adieu ! C’est toi qui étais passé à La Loque l’autle fois… Je t’avais dit que je viendlais si j’avais besouen… Eh Bé ! Té, me voilà. Je viens chelcher ça !
Il me tend le livret en carton glacé de la « C15 First » que j’avais envoyé à tous mes prospects dont la fiche portait la mention « Chasseur ». Ma carte de visite y est encore agrafée. 
(à suivre...)
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